La remise du bulletin de paie au salarié justifie-t-elle le versement effectif du salaire ?

Le salaire correspond à l’ensemble des sommes versées par un employeur à ses salariés en rétribution de leur travail. Il constitue la contrepartie directe et nécessaire à la relation de travail.

La rémunération se compose du salaire de base, auquel viennent s’ajouter d’autres éléments de rémunération, appelés compléments de salaire, tels que les avantages en espèces (commissions, primes et gratifications) ou en nature (tickets restaurant, etc.).

Le salarié doit être payé une fois par mois en espèces (jusqu’à 1500€) , par chèque barré ou par virement vers son compte bancaire ou postal (art. L.3241-1 du Code du travail).

Le Code du travail impose la régularité du paiement.

Pour un horaire de travail effectif déterminé, les salariés de droit privé bénéficient de la mensualisation qui leur garantit le versement du même salaire tous les mois, quel que soit le nombre de jours de travail dans le mois hors heures supplémentaires (art. L. 3242-1 du Code du travail).

L’article L. 3243-2 alinéa 1 du Code du travail dispose que : ”Lors du paiement du salaire, l’employeur remet aux personnes mentionnées à l’article L. 3243-1 une pièce justificative dite bulletin de paie.’’

L’employeur qui se soustrait à cette obligation se rend coupable de dissimulation d’emploi salarié (art. L. 8221-5 du Code du travail).

La remise d’un bulletin de paie au salarié s’applique à tous les employeurs, y compris aux particuliers. Ainsi, les salariés du particulier employeur doivent eux aussi recevoir un bulletin de paie. Certains dispositifs, tels que le chèque emploi-service universel (Cesu), permettent aux particuliers employeurs de déclarer les heures travaillées de leur salarié et de générer ainsi un bulletin de paie de manière simplifiée.

L’employeur qui ne remet pas de bulletin de paie au salarié s’expose à une contravention de 3e classe (450 € au maximum) pour chaque bulletin de paie non remis. Ce dernier peut aussi saisir le conseil de prud’hommes en référé et obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Un employeur peut-il se prévaloir d’avoir payé un salarié simplement parce qu’il a émis ou lui a remis son bulletin de paie ?

La remise du bulletin de paie au salarié ne suffit pas pour prouver que l’employeur a bien versé les sommes indiquées. Et le fait que le salarié l’accepte sans protestation ne veut pas dire qu’il renonce à contester leur montant.

Une jurisprudence récente est venue rappeler ce principe selon lequel si le versement du salaire doit obligatoirement s’accompagner d’une remise d’un bulletin de paie, cette formalité ne justifie pas son paiement effectif (Cass. soc. 7-5-2024 n°22-23.124).

Dans cette affaire jugée le 7 mai, une salariée, négociatrice vente et location, demandait le paiement d’une somme au titre des commissions pour une vente. En appel, elle avait été déboutée de sa demande. Pour la cour d’appel, la preuve du paiement du salaire était apportée par l’employeur puisqu’il était fait mention du montant de cette commission sur le bulletin de paie et la feuille de commissionnement.

La Cour de cassation casse la décision et précise qu’il appartenait à l’employeur, débiteur de l’obligation de paiement de cette commission, de prouver qu’il avait bien exécuté son obligation et réglé la somme inscrite sur le bulletin et la feuille de commissionnement. Pour cela, il aurait dû produire notamment des pièces comptables.

Cette solution s’appuie, d’une part, sur l’article L. 3243-3 du Code du travail qui dispose que : « L’acceptation sans protestation ni réserve d’un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d’une convention ou d’un accord collectif de travail ou d’un contrat.

 D’autre part, cette solution s’appuie sur l’article 1315 du Code civil, lequel prévoit notamment que ”Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.”

Pour rappel : Il est possible de contester l’exactitude des sommes figurant sur le bulletin de paie, ou la réalité de leur paiement, en saisissant le conseil de prud’hommes sous un délai de 3 ans.

En cas de litige, si le salarié saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir le paiement de ses salaires et accessoires, il revient à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a bien exécuté cette obligation. Sa comptabilité, les relevés bancaires sont des éléments qu’il peut notamment produire.