Saisie par une salariée estimant avoir subi des agissements de harcèlement sexuel au travail, la Défenseure des droits, s’est prononcée, dans une décision n° 2024-105 du 11 juillet 2024 sur les règles à suivre pour l’employeur lorsqu’il diligente une enquête interne.
Dans cette affaire, l’employeur a mis en œuvre une enquête interne par des personnes de cette structure au cours de laquelle plusieurs témoins ont été auditionnés. Au terme de cette enquête, l’employeur a fait valoir que la salariée n’avait pas apporté la preuve des faits de harcèlement sexuel qu’elle lui avait signalé.
La Défenseure des droits saisie par la salariée a mené une instruction auprès de l’employeur. Sa décision, n°2024-105 en date du 11 juillet 2024, apporte des éclairages quant à la tenue de cette enquête par l’employeur qui a été jugée insuffisante sur trois critères :
- L’enquête interne doit respecter les règles d’aménagement de la charge de la preuve du harcèlement sexuel.
Aux termes de l’article L1154-1 du Code du travail, dans le cadre d’un harcèlement, la charge de la preuve est aménagée, ce n’est pas au salarié d’apporter la preuve du harcèlement, il doit simplement apporter des éléments laissant présumer l’existence d’un harcèlement.
La Défenseure des droits souligne que “l’aménagement de la charge de la preuve permet au demandeur de constituer un faisceau d’indices convergents laissant supposer l’existence d’une discrimination, sans exiger qu’il n’en rapporte une preuve directe. Il doit seulement faire naître un doute raisonnable. Les attestations et témoignages, pris dans leur ensemble, suffisent amplement à constituer ce faisceau d’indices au vu de leur multiplicité et de leur concordance“.
Au regard de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Or, l’employeur a refusé de voir les éléments de la salariée (SMS, mails, témoignages) comme laissant supposer un harcèlement sexuel et “persiste à demander une preuve tangible à une salariée s’estimant victime de harcèlement sexuel en violation du principe d’aménagement de la charge de la preuve et en dépit des éléments recueillis lors de l’enquête interne“, constate la Défenseure des droits.
Le Défenseur des droits reconnaît dans ce cas l’existence du harcèlement sexuel et d’ambiance, et critique la manière dont l’enquête interne avait été menée, constatant que :
- Le salarié désigné comme auteur du harcèlement tenait de façon habituelle des propos sexistes ou sexuels (production de plusieurs attestations de collègues),
- Ce salarié, en audition, admettait avoir tenu des propos sexistes sous l’emprise de l’alcool,
- Les propos tenus sont insultants ou déplacés à caractère sexiste ou sexuel.
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Les attestations et témoignages, s’ils sont “pris dans leur ensemble, suffisent amplement à constituer ce faisceau d’indices au vu de leur multiplicité et de leur concordance” et “laissent présumer l’existence d’un harcèlement sexuel à l’égard” de la salariée, “mais également d’un harcèlement sexuel d’ambiance”.
- Toutes les personnes indispensables à la manifestation de la vérité doivent être auditionnées.
La défenseure des droits reproche à l’employeur de ne pas avoir été jusqu’au bout de l’enquête en n’interrogeant pas assez de personnes et indique par ailleurs dans sa décision quelles sont les personnes qui doivent être auditionnées : ”a minima la victime présumée, la personne mise en cause, les témoins, les responsables hiérarchiques directs de la victime présumée et de la personne mise en cause et toute personne demandant à être auditionnée ou dont l’audition est souhaitée par la victime présumée ou la personne mise en cause”.
La Défenseure des droits souligne que ”le juge pourra apprécier la pertinence du nombre de salariés interrogés pour décider ou non d’écarter l’enquête interne du débat” et rappelle que l’employeur a une obligation de sanction de la personne auteur des faits de harcèlement.
- L’enquête ne doit pas avoir une durée excessive.
La Défenseure des droits s’interroge sur la durée excessive de l’enquête, initiée en mai 2021, les auditions ont eu lieu en juin 2021, les conclusions n’ayant été rendues qu’en février 2022, soit au bout de 9 mois. Selon la Défenseure des droits, l’employeur se voit reprocher un manquement à son obligation de sécurité si l’enquête a une durée excessive.
Cependant la Défenseure des droits ne précise pas ce qu’est une durée excessive.
En conclusion, la Défenseure des droits recommande, notamment à l’employeur, de modifier ses pratiques d’enquête, de tenir compte des remarques formulées afin d’éviter une éventuelle condamnation pour manquement à son obligation de sécurité.
Si l’avis du Défenseur des droits ne lie pas le juge, il constitue néanmoins un élément important que le salarié peut faire valoir devant le Conseil de Prud’hommes.
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